Faut-il vraiment se débarrasser des managers “toxiques” ?
- Silja Druo
- 18 août
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 28 août

On les qualifie de trop sévères, mauvais communicants, voire toxiques.Ces managers existent dans toutes les organisations. Et souvent, les RH se demandent quoi faire d’eux.
Avant de sortir trop vite l’étiquette “toxique”, posons la vraie question : pourquoi reste-t-il en poste ?
1. Le problème de la dissonance culturelle
Beaucoup d’entreprises affichent des valeurs modernes : autonomie, inclusion, responsabilisation.
Mais dans les faits, il arrive qu’une équipe vive tout l’inverse :
Dans une PME industrielle, la direction affichait en grand “liberté et responsabilité”. Certains salariés organisaient leur journée à leur rythme, prenaient leurs pauses quand ils le souhaitaient. En retour, leur manager a exigé que chaque pause soit notée et justifiée. Résultat : certains ont vécu ce contrôle (et d'autres mesures de ce type) permanent comme une forme de harcèlement.
Dans une startup de 50 personnes, un CTO prônait l’autonomie… mais le chef de projets validait chaque commit de code. Résultat : frustration chez les juniors qui pensaient arriver dans une organisation agile. Le CP ouvertement critiqué a renforcé son attitude en, disaient-ils, infantilisant certains membres de son équipe…
Ce décalage est ce que Chris Argyris appelle la différence entre les valeurs affichées et les valeurs réellement pratiquées. Tant qu’il n’est pas assumé, les collaborateurs se sentent trompés.
2. Pourquoi les garder malgré tout ?
Si l’entreprise les garde, ce n’est jamais par hasard.Dans une société que j’ai accompagné un manager “dur” était détesté pour son manque d’empathie, mais ses résultats parlaient pour lui : son équipe affichait les meilleures performances commerciales de l’entreprise, trimestre après trimestre.
Ce directeur général disait à sa RRH :
“On sait qu’il n’est pas tendre. Mais ses analyses stratégiques sont brillantes, et c’est l’équipe qui délivre le plus.” »
Autrement dit, ses qualités compensaient largement ses défauts.
Comme le souligne Henry Mintzberg, une organisation a besoin de styles de management différents selon les contextes. Un manager directif peut se révéler précieux pour délivrer ou sécuriser une activité, même si son style ne colle pas aux slogans d’autonomie affichés ailleurs.
3. Deux chemins, mais pas d’entre-deux
Si ce manager est incompatible avec vos valeurs, ayez du courage :
Dans une startup parisienne, un fondateur a traîné 18 mois avant de se séparer d’un manager qualifié de “toxique”. Résultat : 4 démissions en chaîne, perte de confiance dans la direction, climat délétère. Quand ils ont finalement négocié le départ, le climat s’est immédiatement apaisé.
Oui, ce courage a un prix : il faut souvent sortir le portefeuille pour que cela se règle vite et bien.
Mais le coût de son maintien – en désengagement, en départs et en réputation employeur – est toujours plus élevé.
Si au contraire vous voulez le garder, assumez pleinement votre choix.
Exemple classique : le CTO en startup.
Trop technique et cassant avec les opérations → recrutez un VP diplomate pour équilibrer.
Trop “manager” et jugé faible par les développeurs → recrutez un VP légitime techniquement.
La plupart des CTO connaissent leurs propres faiblesses. Bien présentée, l’option du recrutement complémentaire n’est pas une menace, elle va lui permettre de se sentir meilleur là où il est déjà bon.
C’est ça, assumer vos choix :
Adapter l’environnement autour d’un manager au lieu d’espérer qu’il change de nature.
Être transparent en entretien : “cette équipe fonctionne avec un style plus directif/plus technique/plus diplomate”.
Recruter des profils alignés, plutôt que de vendre une autonomie qui n’existe pas dans ce périmètre.
Comme le rappelle Patrick Lencioni : le flou coûte toujours plus cher que la clarté.
4. Une vérité qui dérange
Oui, une entreprise peut prôner l’autonomie et avoir des équipes qui fonctionnent autrement.Oui, une culture peut être plurielle, tant que c’est assumé et expliqué clairement.
Ce qui détruit la coopération, ce n’est pas le manager “dur” en soi.C’est :
l’incohérence entre le discours et la réalité (Argyris),
le manque de courage à assumer ses choix (Lencioni),
les recrutements ratés parce que la culture vécue n’a pas été expliquée en entretien (Schein).
Alors, faut-il vraiment se débarrasser des managers “trop durs” ?Pas toujours. Mais il faut arrêter de se mentir : soit vous assumez leur style et vous alignez vos recrutements, soit vous les laissez partir.
Assumer ce choix, c’est déjà faire descendre la pression dans l’organisation.Et, bizarrement, déjà quand le flou disparaît que les pics de tension diminuent d’eux-mêmes.
Dans ce climat plus clair, il devient ensuite possible d’accompagner ces managers : coaching, formation, développement de nouvelles compétences…
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